la dernière fois qu'il était venu à Times Square, la sirène de l'alerte antiaérienne avait retenti et instantanément transformé les bons citoyens de Manhattan en cafards, comme si Dieu avait allumé dans la cuisine.
Colson Whitehead, Harlem Shuffle, Dorveille, 1961
tag : dimanche, Franz Kafka, insecte
la dernière fois qu'il était venu à Times Square, la sirène de l'alerte antiaérienne avait retenti
ses paupières montaient et descendaient comme des stores déglingués
ses paupières montaient et descendaient comme des stores déglingués
Stephen King, marche ou crève
l'eau est folle
Plus bas que moi, toujours plus bas que moi se trouve l’eau. C’est toujours les yeux baissés que je la regarde. Comme le sol, comme une partie du sol, comme une modification du sol.
Elle est blanche et brillante, informe et fraîche, passive et obstinée dans son seul vice : la pesanteur; disposant de moyens exceptionnels pour satisfaire ce vice : contournant, transperçant, érodant, filtrant.
A l’intérieur d’elle-même ce vice aussi joue : elle s’effondre sans cesse, renonce à chaque instant à toute forme, ne tend qu’à s’humilier, se couche à plat ventre sur le sol, quasi cadavre, comme les moines de certains ordres. Toujours plus bas : telle semble être sa devise : le contraire d’excelsior.
On pourrait presque dire que l’eau est folle, à cause de cet hystérique besoin de n’obéir qu’à sa pesanteur, qui la possède comme une idée fixe.
Certes, tout au monde connaît ce besoin, qui toujours et en tous lieux doit être satisfait. Cette armoire, par exemple, se montre fort têtue dans son désir d’adhérer au sol, et si elle se trouve un jour en équilibre instable, elle préférera s’abîmer plutôt que d’y contrevenir. Mais enfin, dans une certaine mesure, elle joue avec la pesanteur, elle la défie : elle ne s’effondre pas dans toutes ses parties, sa corniche, ses moulures ne s’y conforment pas. Il existe en elle une résistance au profit de sa personnalité et de sa forme.
Liquide est par définition ce qui préfère obéir à la pesanteur, plutôt que maintenir sa forme, ce qui refuse toute forme pour obéir à sa pesanteur. Et qui perd toute tenue à cause de cette idée fixe, de ce scrupule maladif. De ce vice, qui le rend rapide, précipité ou stagnant; amorphe ou féroce, amorphe et féroce, féroce térébrant, par exemple; rusé, filtrant, contournant; si bien que l’on peut faire de lui ce que l’on veut, et conduire l’eau dans des tuyaux pour la faire ensuite jaillir verticalement afin de jouir enfin de sa fagon de s’abîmer en pluie : une véritable esclave.
Cependant le soleil et la lune sont jaloux de cette influence exclusive, et ils essayent de s’exercer sur elle lorsqu’elle se trouve offrir la prise de grandes étendues, surtout si elle y est en état de moindre résistance, dispersée en flaques minces. Le soleil alors prélève un plus grand tribut. Il la force à un cyclisme perpétuel, il la traite comme un écureuil dans sa roue.
L’eau m’échappe… me file entre les doigts. Et encore! Ce n’est même pas si net (qu’un lézard ou une grenouille) : il m’en reste aux mains des traces, des taches, relativement longues à sécher ou qu’il faut’ essuyer.
Elle m’échappe et cependant me marque, sans que j’y puisse grand-chose.
Idéologiquement c’est la même chose : elle m’échappe, échappe à toute définition, mais laisse dans mon esprit et sur ce papier des traces, des taches informes.
Inquiétude de l’eau : sensible-au moindre changement de la déclivité. Sautant les escaliers les deux pieds à la fois. Joueuse, puérile d’obéissance, revenant tout de suite lorsqu’on la rappelle en changeant la pente de ce côté-ci.
Francis Ponge : de l'eau, Le parti pris des choses, Gallimard, París, 1942
Au milieu des cerisiers blancs
Au milieu des cerisiers blancs
Sur son cheval
Le prêtre a des ciseaux d'argent
Il a les mains couvertes de papier doré
Et le devant de son visage est décollé
Gérard Manset – La mort d'Orion
tag : laissez faire les mammifères
Mémoire de fille
C'est un samedi, fin octobre, je la vois allongée sur le lit de ses parents, près de la cheminée inutilisée avec un grand cadre de Sainte-Thérèse de Lisieux au-dessus. Le docteur B, le médecin de la famille, palpe, écoute son ventre sur lequel, au bout du lit, la mère a les yeux rivés. Les acteurs de la scène sont muets, concentrés. Un silence de mort précédant le verdict.
Cette scène, qui s'est jouée durant des décennies dans des chambres et des cabinets de médecins, a la puissance d'un tableau inaltérable, comme celui de l'Angélus de Millet avec lequel elle se confond, peut-être à cause des têtes penchées du docteur B et de ma mère. Je ne sais pas à quoi pense la fille, peut-être supplie-t-elle la sainte du cadre. Le docteur B relève la tête, soudain loquace comme s'il tenait à convaincre la mère de l'innocence de sa fille, expliquant que l'aménorrhée, ça s'appelle ainsi chère Madame, est fréquente, il y a des femmes de prisonniers qui n'ont pas vu leurs règles de toute la guerre !
...
Aucun traitement ne viendra à bout de l'assèchement de mes ovaires durant deux ans.
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Tu ne vas tout de même pas rester comme ça ! Ma mère trahissant ses soupçons dans ce chantage ahurissant : tu n'iras pas au bal de l'Ecole d'Agriculture si tes règles ne reviennent pas !
Annie Ernaux, Mémoire de fille
George Kirrin : Tous les bouquins que j'ai lus d'elle m'ont barbée.
Inter Brette : George Kirrin, désolé, je ne procède à aucun remboursement
Inter Brette : George Kirrin plus sérieusement, pour ma part, j'admire le talent de l'écrivaine qui fait qu'en mettant des mots sur ce qu'elle a vécu, elle me donne l'étrange impression de parler de ma vie. je citerai par exemple mon travail à la colonie de St-H de R, et cette aménorrhée chronique dont je souffre depuis ma puberté
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