Slogans, Maria Soudaïeva
8. NON AUX RENAISSANCES DE NATACHA AMAYOQ !
62. PAS DE PITIE POUR LA MOUETTE QUI RENONCE AU CRIME !
94. PETITE CHRYSALIDE, LES SOLDATS ENFOUIS NE SONT PAS TES SOEURS !
99. APPLICATION IMMEDIATE DU PROGRAMME MAXIMUM !
115. AUCUNE ALLIANCE AVEC LES ORANGES POUPEES !
119. NE REGARDE PAS LA POUPEE ORANGE, NE REGARDE PAS DANS LA FENETRE NUMBER SEPT !
123. ORDONNE TES OS A LA PERFECTION !
127. ORDONNE TON VISAGE AVANT DE TE PENDRE !
128. ORDONNE TES ORIFICES A LA PERFECTION !
157. ENFANTS DU TROISIEME ROULEAU, POURRISSEZ LEURS REVES !
160. LEOCADIA, EMPARE-TOI DE LEURS SACS ONIRIQUES ET DETRUIS-LES !
197. RENEGATE BLEUE, PETITE SOEUR, TUE LES REINES BLEUES, VA JUSQU'AUX MATRICES ETRANGES !
259. OURSES DES HERBES BASSES, FRAPPEZ !
340. UN JOUR ENFIN NOUS SERONS PLUS MORTS QUE VIFS !
341. UN JOUR NOUS AURONS LE SOLEIL EN BOUCHE !
51. AVANCE A PAS DE LOUVE JUSQU'A L'ETOILE BANQUISE !
52. TA MAIN GAUCHE S'APPELLE BANQUISE, TRAHIS TA MAIN !
118. TOUT EST FINI, NULLE NE CONNAIT TON NOM, PENDS-TOI AVEC TA CEINTURE !
120. SI ON TE DIT QUE TOUT EST FINI, N'ECOUTE PAS, TRAHIS !
121. N'ECOUTE PAS CE QUE DIT TA BOUCHE !
134. SI LA FORET ENCORE MURMURE, CHERCHE L'ARBRE NUMBER FIFTEEN ET ECORCE-LE !
135. SORS DE LA MATRICE FIGEE, PASSE PAR LA MATRICE ATROCE, NE REGARDE PAS L'OCEAN !
145. PAS UN GESTE VERS LES NUAGES !
172. PETITE CHRYSALIDE, NE MUTILE JAMAIS TA MAIN BRILLANTE !
173. MEME EN DORMANT,PETITE SOEUR, FRACASSE, TUE !
182. RESSAC, BRISANTS, ACTION !
198. SI UN POUSSIN SORDIDE TE DEMANDE L'HEURE, PENDS-TOI AVEC TA CEINTURE !
205. SI TU VOIS LA REINE MORDUE, CREVE-TOI LES YEUX AVEC LA LANGUE !
247. DEUX PAR DEUX, APPEL GENERAL, DEUX PAR DEUX, HIVER TOTAL !
267. ATTENDS LES ORDRES DEVANT TON CRANE !
316. LOUVES ECARLATES, RESTITUEZ VOS SAVOIRS ECARLATES !
341. UN JOUR NOUS ENTRERONS DANS LES MAISONS ORANGE !
19. N'OTE PAS LA CARAPACE DES SINGES ETRANGES, NE BRISE PAS LA CARAPACE DES SINGES ETRANGES, TUE LES SINGES ETRANGES !
29. SI NULLE NE SE SOUVIENT DE TON NOM PENDANT TA MORT, OUBLIE TON NOM !
35. SI TU TE REVEILLE PARMI LES OISEAUX, AGITE LES AILES, NE REGARDE PAS !
38. QUAND TU PONDS, JAMAIS NE PARLE EN LANGUE ETRANGE !
68. QUAND ON A LE BRUIT DU VENT EN MEMOIRE, ON NE PASSE PAS !
72. NE RESPIRE PLUS AVEC TA MAIN DROITE !
190. NE FAIS PAS DEMI-TOUR QUAND L'ORIENT FLAMBOIE !
322. DIS LES MOTS A L'INTERIEUR DE TA PEAU !
330. SI TES MAINS DECAPITENT, NE DIS PLUS LES MOTS !
Slogans (extraits), traduit du russe par Antoine Volodine, editions de l'Olivier.
« Propagande poétique »
Ouvrage recensé :
Maria Soudaïeva, Slogans, Paris, Éditions de l’Olivier, 2004, 108 p.
RUSSIE-FICTION
Propagande poétique
Christian Monnin
Maria Soudaïeva, Slogans, Paris, Éditions de l'Olivier,
2004, 108 p.
"Maria Soudaïeva aurait pu ne jamais avoir d'existence editoriale.
De son vivant, seuls des extraits d'un roman demeuré inédit ont été
publiés dans une improbable revue underground d'Extrême-Orient.
Plus d'un an après son suicide en février 2003, ses stupéfiants
Slogans paraissent en France, grâce à l'écrivain et traducteur
Antoine Volodine.
Née en 1954 à Vladivostok d'un père russe et d'une mère
coréenne. Maria Soudaïeva a très tôt souffert de troubles psychiques
qui l'ont contrainte à mener une existence en quelque sorte
parallèle. Son don pour les langues lui a néanmoins permis de
travailler comme guide-interprète en URSS puis au Viêt-nam.
Maria Soudaïeva fut aussi une femme engagée, posant un regard
amer sur une société postsoviétique gangrenée par la mafia et
ravagée par un capitalisme sans garde-fou, avec laquelle elle a
fini par rompre. Elle s'est par exemple battue pour arracher de
jeunes femmes à des réseaux de prostitution mafieux et elle a
fondé avec son frère un groupe anarchiste.
Jusqu'à récemment, Maria Soudaïeva était enfin une clandestine
de la littérature, dont l'oeuvre semble au croisement des hallucinations
provoquées par sa maladie et de sa vision pessimiste,
voire apocalyptique, de l'avenir de la Russie. Outre ces Slogans,
elle a composé des poèmes et un roman, tous inédits à ce jour.
même en Russie. En France, pourtant, elle a déjà fait une apparition
discrète dans la bibliographie qui clôt Le postexotisme en dix
leçons, leçon onze. Une bibliographie imaginaire, dans un livre
écrit par un certain Antoine Volodine... Autrement dit, tout indique
que Maria Soudaïeva est une des voix de cet écrivain singulier.
Comme un personnage de cinéma sortant de l'écran, elle est
issue de son univers poético-politico-onirique peuplé de voix
souterraines entrées dans une résistance désespérée après la
destruction de leurs rêves de révolution.
Une littérature étrangère en langue française
Dans un premier temps, cette nouvelle est une légère déception
pour le lecteur, qui se sent dépossédé du plaisir de la découverte :
en effet, il aurait aimé croire à la fable de cette mystérieuse aventurière
russe écrivant ces Slogans d'une rare violence depuis les
confins de la maladie et de l'Extrême-Orient. Mais c'est aussi une
heureuse surprise qui marque une nouvelle étape dans une
entreprise littéraire passionnante : Antoine Volodine s'était déjà
glissé dans ses propres livres aux côtés de collègues auteurs
postexotiques, mais, démarche inverse, Maria Soudaïeva est son
premier avatar (presque) autonome. Dans la foulée de son travail
de traducteur d'Alexandre Ikonnikov pour les Éditions de l'Olivier,
Volodine a saisi l'occasion d'accomplir enfin pleinement son projet
d'« une littérature étrangère en langue française » dont il ne serait
que le passeur. Cette formule choc est plus qu'un slogan, justement
: ainsi, en lecture, Volodine n'habite jamais ses textes mieux
que lorsqu'il les déclame avec un accent étranger (hispanisant).
Bienvenue au Volodinistan
Il est juste un peu regrettable que l'auteur ait de toute évidence
voulu se faire démasquer : il aurait très bien pu inventer aussi un
traducteur, s'abstenir de rédiger une préface en forme d'aveu à
peine voilé et rendre la biographie de Maria Soudaïeva plus crédible
(« l'éphémère groupe anarchiste », entre autres, sonne faux et le
suicide en 2003 paraît bien commode). Bref, il a multiplié les
indices pour s'assurer que même le lecteur non averti ait des
doutes, comme s'il n'avait pas osé aller jusqu'au bout de sa
démarche. D'un autre côté, ce paratexte (préface, quatrième de
couverture, biographie) fait partie intégrante de l'oeuvre, il la met
en scène, mais il aurait sans doute gagné à être moins transparent.
Car, si étranges que soient les contrées où s'aventure ce livre, si
originale que soit sa forme, le lecteur soupçonne assez vite qu'il
évolue en territoire volodinien, mis sur la piste par l'onomastique
inimitable qui le caractérise : Natasha Amayoq, Abraham Voriaguine,
Bayane Yaguatinga, etc.
Raids poétiques
Slogans, comme son titre descriptif l'indique, est une succession
numérotée de slogans et d'instructions, regroupés en brèves
séries au sein de trois parties de longueurs parfaitement égales
(trois cent quarante-trois slogans chacune). Il ne s'agit pas, bien sûr,
de slogans publicitaires et de consignes d'achat, mais d'ordres et
de mots d'ordre guerriers, tantôt exclamatifs, tantôt injonctifs, en
lettres capitales et toujours ponctués d'un point d'exclamation.
Le lecteur pénètre par à-coups dans un monde terrible, dévasté,
où des entités étranges aux noms d'insectes reçoivent des ordres
énigmatiques qui les enjoignent à frapper, à tuer, à détruire, à se
rallier ou à se méfier, à avancer ou à se replier. Les frontières du
rêve et de la réalité, de la vie et de la mort sont réversibles, des
êtres renaissent, se réincarnent, les songes sont des armes, des
refuges, des enjeux. Entraîné dans des incursions éclairs par ces
phrases brèves et véhémentes comme des décharges, le lecteur
est assailli d'images oniriques et violentes, souvent paradoxales.
Ce sont comme de brefs coups de projecteurs et on pourrait parler
d'une poétique stroboscopique.
Messages codés
Contrairement à ce qu'affirme la quatrième de couverture, ces
énoncés ne s'adressent nullement à « nous », lecteurs. D'une part.
ils ont pour la plupart un destinataire désigné, qu'ils interpellent
très souvent. D'autre part, ces messages se présentent comme
codés. Impossible de les prendre au pied de la lettre. De cet hermétisme
naît en partie leur force d'évocation. En elle, le code recoupe
la métaphore : le code fait image et les images semblent appeler un
décodage par quelqu'un d'autre que le lecteur. Faute d'y parvenir,
celui-ci entrevoit peu à peu les contours d'une grammaire qui
opère par recombinaison de certains noms propres, termes ou
expressions récurrents. À tel point qu'il est aisé de la mettre en
oeuvre pour produire une parodie. Par instants, ces jeux de permutation
ne sont pas sans rappeler la poésie d'un Patrick Bouvet,
par exemple.
La contrainte formelle que s'est donnée Volodine est en ellemême
un puissant vecteur d'étrangeté, car tous ces énoncés ont
une valeur moins descriptive que performative : ils ne décrivent
pas un monde, ils prétendent le modifier; ils ne rapportent pas
des événements, ils visent à en infléchir le cours; ils menacent,
ils promettent, ils revendiquent. La dimension descriptive est en
quelque sorte indirecte : comme des fragments de miroir brisé,
injonctions et exclamations projettent certes des éclats de l'univers
où elles sont proférées, mais, de par leur nature énonciative, elles
n'offrent des aperçus que d'un monde programmé, proclamé,
revendiqué, etc.
Les slogans ont par ailleurs cette caractéristique d'être impersonnels
: ils n'ont pas d'énonciateur repérable et le lecteur ne sait
jamais qui parle. « Ça » crie, « ça » ordonne, « ça » proclame. Le
paradoxe — fécond — de ce volet de l'entreprise volodinienne est
de s'être forgé de toutes pièces une identité fictive pour composer
un ouvrage entièrement constitué d'énoncés impersonnels, inassignables.
Sous couvert de Maria Soudaïeva, Volodine s'est permis
avec bonheur de pousser l'expérimentation plus loin qu'il ne
l'avait jamais fait."