François Béranger - Département 26
"Voilà c’que m’a raconté Pierre-Albert Espénel
Quarante trois ans aux fraise
Et pas toutes ses dents
Un beau soir de l’automne
Assis sur un banc
Devant sa maison de pierres
Dans un village désert
Les brebis font des agneaux
Les chèvres des chevreaux
Moi je voudrais bien aussi
Faire mon propre troupeau
Me voilà d’retour maintenant
D’retour après quinze ans
Mes deux valises en carton
Remplies de solitude
Pour celle que j’attends un jour
J’ai travaillé des jours
A reconstruire une maison
Avec tout c’qui faut dedans
Un chauffage, de l’eau chaude
Un frigo, une radio
J’y vais une fois de temps en temps
Je m’assied et j’attends
En même temps qu’je rebâtissais
J’ai écrit aux journaux
Au Chasseur pour être précis
Avec ma photo
Un jour une m’a répondu que ça l’intéressait
Elle est venue d’sa Bretagne
Jusque dans nos montagnes
C’est Frédéric l’épicier
Qui l’a monté d’la vallée
Dans sa camionnette rouillée
Le jour de sa tournée
Quand j’ai été la chercher
On s’est bien regardé
On n’a pas su quoi se dire
Elle aurait pas dû venir
J’lui ai montré la maison
Les parents l’horizon
Et puis on a essayé un peu de se causer
Je me souviens qu’elle m’a dit
Qu’on était bien gentils
Mais qu’elle ne savait par pourquoi
Elle ne resterait pas
Pour celle que j’attends un jour
J’ai réécrit aux journaux
En y joignant ma photo
Et tout ce qu’il leur faut
Un jour une me répondra
Et ça l’intéressera
Un jour une me répondra
Et même elle restera
Voilà c’que m’a raconté Pierre-Albert Espénel
Quarante trois ans aux fraises
Et pas toutes ses dents
Un beau soir de l’automne assis sur un banc
Devant sa maison de pierres
Dans un village désert."