la banane, qui "se détache" cesse d'être un fruit pour devenir, dans l'expérience psychique, un phallus – « signifiant du manque», dans la terminologie lacanienne
photographie : Ville Varumo
"Pourquoi ce primat du pénis, pour le garçon comme pour la fille ? L’organe sexuel mâle, parce qu’il est érectile et visible, est d’emblée investi. Le « stade du miroir », (structurant selon Lacan l’imago du Moi), ouvre la voie de la psychisation ; de la pulsion scopique et du spéculaire à la représentation psychique. L’investissement spéculaire déplacera l'image narcissique du visage, ou de tout autre objet de besoin lié à la présence maternelle, sur ce visible érotisé qu'est l'organe sexuel mâle. À cause de l'érection éprouvée, subie ou observée, le pénis est vécu comme un organe qui « se détache », au double sens du mot français : il se remarque et peut manquer. La tumescence/détumescence induit chez le garçon la menace de la privation, que confirme l'absence de l'organe chez les filles : de quoi étayer le fantasme de castration. À partir de cette absence latente, le pénis peut devenir le représentant des autres épreuves de séparation et de manque vécues par le sujet.
Quels sont les autres événements qui s'organisent – dans le phantasme- autour du caractère « détachable» du pénis? La naissance, la privation orale, la séparation anale. Le pénis cesse d'être un organe physiologique pour devenir, dans l'expérience psychique, un phallus – « signifiant du manque», dans la terminologie lacanienne, puisqu'il est susceptible de manquer et parce qu'il subsume les autres manques déjà éprouvés, voire à venir. À cela, on ajoutera que le signifiant du manque est le paradigme du signifiant tout court, de tout ce qui signifie. Le pénis en tant que phallus devient pour ainsi dire le symbole du signifiant et de la capacité symbolique.
En d’autres termes, l'investissement du pénis est un investissement de tout ce qui peut manquer et, à partir de là, de tout manque comme paradigme du signifiable et du signifiant : manque corporel, sensoriel, etc. ; mais également, dans le champ de la représentation, le phallus devient le signifiant de la représentation voire de la pensée elle-même pour autant qu’elle représente ce qui manque : érige un signe à la place du réfèrent absent."
Julia Kristeva